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Liberté de la presse : comment expliquer le bond de la France au classement de Reporters sans Frontières ?

Publié le 26 juillet 2023 à 19h20

Source : Sujet TF1 Info

Entre 2016 et 2023, la France est passée de la 45e à la 24e place dans le classement mondial sur la liberté de la presse.
Selon Reporters sans Frontières (RSF), cette remontée s’explique par différents facteurs, et notamment sa piètre position en 2016.

"Qu'a fait Emmanuel Macron pour la liberté de la presse depuis 2017 ?" C’est par ce message publié sur Twitter un peu plus d'une semaine après que des journalistes ont été violentés par des policiers lors d’une manifestation interdite en hommage à Adama Traoré, faits pour lesquels une enquête a été confiée à l'IGPN, qu'un internaute a interrogé l'association Reporters sans Frontières (RSF) sur la méthode utilisée pour établir son classement annuel.

Un classement de 180 pays où la France apparait à la 24e place en 2023. En 45e position sept ans auparavant, elle a lentement gravi les échelons pour revenir parmi les mieux notés au monde. En parallèle, les critiques sur les violences policières à l’encontre de journalistes et la concentration des médias n’ont jamais été aussi nombreuses. Comment l’expliquer ? "Il faut garder en tête que la situation évolue chaque année. 2016 était une mauvaise année et la France a remonté péniblement la pente", note en préambule Pauline Adès-Mével, porte-parole de RSF. 

2016, année post-Charlie Hebdo

Entre 2015 et 2016, la France perd sept places pour se retrouver 45e, coincée entre Trinité-et-Tobago (44e) et Malte (46e). Une année meurtrière pour la profession, endeuillée par l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, qui a fait 12 morts, touchant directement à la liberté d’expression. 

Une dimension prise en compte RSF dans son barème, selon la porte-parole : "L’un des sept indicateurs que nous utilisions était celui des exactions et à ce titre évidemment les attentats contre Charlie Hebdo ont eu un énorme impact. La chute de 7 places de la France par rapport à l'année précédente s’expliquait notamment par l’assassinat des huit collaborateurs de Charlie Hebdo en janvier 2015, exaction dont on a dit qu’elle était la pire exaction commise envers des journalistes sur le sol européen."

2017, une "amélioration en trompe l’œil"

Logiquement, la France remonte l'année suivante. Elle gagne six places dans le classement et devient le 39e pays à garantir le mieux la liberté de la presse. Mais ceci ne serait qu’une "amélioration en trompe-l'œil". "Cette remontée mécanique, qui se produit après la chute exceptionnelle que le pays avait connue avec la tuerie de Charlie Hebdo, lui permet de se replacer à son niveau de 2014", détaille l’ONG dans son rapport. Et pour cause, l’année 2016 est celle de la campagne présidentielle et avec elle, des attaques "d’une rare intensité" contre des médias. 

2018, une situation qui stagne

Six nouvelles places sont gagnées en 2018, permettant à la France de se hisser à la 33e position. Si la progression est belle, le score global français augmente de seulement 0,37 par rapport à l’an dernier. La liberté de la presse ne s’améliorerait pas pour autant dans le pays et cette remontée peut s’expliquer par "la dégringolade de pays" voisins, comme la République Tchèque, passée de la 23e à la 34e place.

Des policiers devant un magasin avec une vitrine "Je suis Charlie", le 11 janvier 2015.
Des policiers devant un magasin avec une vitrine "Je suis Charlie", le 11 janvier 2015. - JOEL SAGET / AFP

2019, le mouvement des Gilets jaunes

La France conquiert une place dans le classement 2019 et passe 32e alors que débute le mouvement des Gilets jaunes. Dans ce contexte, RSF pointe un "niveau inédit de violences (...) au point que nombre d’équipes de télévision n’osent plus afficher leur logo ni couvrir les manifestations sans être accompagnées de gardes du corps". À ce sujet, Dominique Pradalié, présidente de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), rappelle qu'environ "200 journalistes ont été empêchés de travailler entre 2019 et 2020, sur la couverture des Gilets jaunes et mouvements sociaux". Et que la plupart de ceux ayant subi des violences lors de manifestations n'ont pas porté plainte dans la foulée. 

2020, inquiétude pour les journalistes

Pour la première fois depuis 2016, la France perd deux places et redevient 34e en plein mouvement de contestation sociale. Cette période donne lieu à "une hausse très inquiétante d’attaques et de pressions contre les journalistes" qui ont "souvent été entravés dans leur couverture, empêchés de filmer ou ont vu leur matériel confisqué" lors de manifestations des Gilets jaunes puis contre la réforme des retraites. En parallèle, RSF alerte sur des procédures judiciaires dites "bâillon" contre des journalistes et un manque d’indépendance éditoriale des médias, contrôlés par des actionnaires ayant des "intérêts extérieurs".

2021, la loi de sécurité globale

La situation ne s’améliore pas en 2020 et la France conserve sa 34e place. La fin de l’année est particulièrement marquée par des manifestations contre le nouveau schéma national de maintien de l’ordre et le projet de loi de sécurité globale, qui tendent tous deux à limiter la réalisation et la diffusion d'images des policiers et gendarmes. Et donc à restreindre la couverture médiatique des mouvements sociaux. "Les agressions contre les journalistes et les interpellations abusives se sont notamment multipliées", signale à nouveau l'ONG.

2022, une nouvelle méthodologie

L’année suivante, la progression française est fulgurante avec huit places gagnées. Selon RSF, le nouveau schéma national de maintien de l’ordre se révèle plus respectueux de la liberté de la presse dans les manifestations. Il prévoit notamment que "les journalistes peuvent continuer d’exercer leurs missions lors de la dispersion d’un attroupement sans être tenus de quitter les lieux".  

C’est aussi en 2022 que RSF revoit sa méthodologie, visant à mieux évaluer la liberté de la presse dans le monde. "Il en a résulté cinq nouveaux indicateurs qui structurent le classement et donnent une vision de la liberté de la presse dans sa complexité : contexte politique, cadre légal, contexte économique, contexte socioculturel et sécurité", énonce Pauline Adès-Mével, de l’ONG. 

En 2023, la France placée entre le Costa Rica et l'Afrique du Sud en matière de liberté de la presse, selon Reporters Sans Frontières
En 2023, la France placée entre le Costa Rica et l'Afrique du Sud en matière de liberté de la presse, selon Reporters Sans Frontières - Reporters Sans Frontières

2023, un "léger rebond" automatique

Cette année, la France se hisse donc à la 24e place, entre le Costa Rica (23e) et l’Afrique du Sud (25e). Un "léger rebond", qui "s'explique notamment parce que la situation s’est dégradée ailleurs", pointe Pauline Adès-Mével, citant l’Allemagne et ses cinq places de perdues "en raison d'un nombre record de violences et d'interpellations de journalistes". 

Mais des atteintes portées à l’exercice des médias et à la démocratie subsistent dans l’Hexagone, d’après le rapport. "L’absence de financement pérenne après la suppression de la redevance fragilise l’audiovisuel public. En dépit de l’adoption d’un nouveau schéma de maintien de l’ordre, plus respectueux des droits des journalistes lors des manifestations, les reporters continuent de faire l’objet de violences policières en plus des agressions de la part de manifestants."

Des inquiétudes également portées par Dominique Pradalié, qui estime que "la France est dans un déni des attaques contre la liberté de la presse", et par le Syndicat national des journalistes (SNJ). Son premier secrétaire, Emmanuel Poupard, témoigne : "On ne peut que remarquer, en tant que première organisation de la profession, que les atteintes à la liberté n’ont pas cessé d’augmenter ces dernières années : les procédures bâillon, les violences à l’encontre des journalistes dans les manifestations, le harcèlement en ligne des femmes journalistes… Ça n’arrête pas, c’est même de pire en pire."

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Caroline QUEVRAIN

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