À LA LOUPE – Le patron de Lubrizol a minimisé devant des parlementaires le danger représenté par l'incendie de son usine rouennaise. Les experts se montrent, eux, beaucoup plus prudents quant aux risques potentiels.

Après l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen le 26 septembre, une mission d'information a été mise en place. C'est dans ce cadre que le PDG de l'entreprise, l'Américain Eric Schnur, a été auditionné en début de semaine. Devant les députés et sénateurs qui l'ont interrogé mardi, il a assuré que la firme souhaitait se comporter en "bon voisin", précisant que selon ses information, l'origine du feu était extérieure à son usine.

Eric Schnur a par ailleurs livré une analyse assez surprenante : selon lui, l'énorme incendie qui s'est déclaré à Rouen n'était "pas plus toxique qu'un incendie de maison". Pour appuyer son propos, il a indiqué que "tous les produits toxiques présents, comme le pentasulfure de phosphore", avaient été extraits du site avant que les flammes ne les atteignent. 

Des experts dubitatifs

Les affirmations du dirigeant américains sont-elles crédibles ? Les spécialistes, dubitatifs, se montrent surtout beaucoup plus prudents que le patron de Lubrizol. "Quand je vois des fumées noires, je suis comme vous, je trouve ça inquiétant", glisse Christa Fittschen, chimiste et directrice de recherche au CNRS, "c'est le signe d'une combustion qui n'est pas complète". Outre de l'eau et du CO2, une foule d'autres particules a donc logiquement été dispersée dans l'incendie.

La chercheuse, membre du laboratoire pc2a de l'université de Lille, émet des réserves quant aux propos d'Eric Schnur, mais ne tire aucune conclusion. Elle estime qu'il faut se baser sur les résultats des analyses effectués près du site, et note qu'il est important que les prélèvements soient effectués tôt après l'incident.

C'est ce qu'a fait l'Ineris, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, intervenu dans la foulée de la catastrophe. Pour autant, les premiers résultats des analyses ne permettent pas de tirer de conclusions formelles. Leur seule certitude ? Que de plus amples études sont nécessaires. La situation reste encore floue, ce dont témoignaient les déclarations de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, le 2 octobre. 

Suite à la publication par la préfecture de Seine-Maritime de la liste des 5.253 tonnes de produits chimiques à avoir brûlé dans l'incendie, la ministre se montrait pragmatique, et pas forcément très rassurante. On sait depuis que 4.250 tonnes de produits sont également partis en fumée dans des entrepôts de l'entreprise voisine Normandie Logistique.

Pas un incendie comme un autre

S'il faudra sans doute de nombreuses études approfondies pour déterminer la toxicité de l'incendie et ses conséquences, il semble difficile de comparer ce feu à celui qui ravagerait une maison d'habitation. Collègue de Christa Fittschen à Lille, le chercheur Xavier Mercier est notamment spécialisé dans la combustion et les suies. Il rappelle que "ce que l'on voit avec la fumée noire, c'est de la particule de suie". Mais les particules les plus dangereuses, "ce sont celles que l'on ne voit pas car plus fines, et qui ont d'ailleurs des durées de vie plus longues". Heureusement, elles sont également plus volatiles, ce qui réduit le risque dans le cas d'un incendie comme celui-ci.

Comme sa consœur, Xavier Mercier reste mesuré, a fortiori parce qu'il n'a analysé en détail les dizaines de produits chimiques communiqués par Lubrizol. La comparaison avec un incendie domestique lui semble pour autant abusive, "d'autant que l'on se trouve à Rouen sur un site Seveso".

Expert judiciaire en chimie et en pollution, Frédéric Poitou s'est exprimé auprès de France Info début octobre, après avoir consulté les documents fournis par Lubrizol. "Il y a des sources importantes de molécules carbonées et d'hydrocarbures, beaucoup de métaux et des acides inorganiques. Et avec la température qui s'était élevée lors de l'incendie et des explosions, ce sont les conditions requises pour former des dioxines", observait-il. "Ce serait très surprenant qu'il n'y ait pas de toxicité", jugeait aussi l'expert. 


Thomas DESZPOT

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