Gore, sensuelle et mélancolique : "Bones And All" est la romance la plus dangereuse de l’année

Publié le 23 novembre 2022 à 11h33, mis à jour le 23 novembre 2022 à 21h27

Source : TF1 Info

Avec "Bones And All", le réalisateur italien de "Call Me By Your Name" Luca Guadagnino adapte un roman young adult de l’Américaine Camille DeAngelis.
Timothée Chalamet et la révélation Taylor Russell y incarnent deux jeunes amants cannibales dans l’Amérique paumée des eighties.
Une romance pas tout à fait ordinaire qui utilise son point de départ horrifique pour décrire la fin de l’adolescence et la douleur de la différence.

Il était une fois dans les années 1980, dans un bled paumé de la Rust Belt, cette Amérique industrielle dont le déclin se lit sur les murs défraichis et la mine résignée des habitants. Maren (Taylor Russsell), 18 ans, fait le mur rejoindre une bande de copines de classe blondes comme les héroïnes de Virgin Suicides. L’atmosphère rose bonbon vire au rouge écarlate lorsque leur invitée dévore littéralement le doigt de l’une de ses camarades jusqu’à l’os. En panique, la bouche en sang, elle se précipite chez son papa qui lui ordonne de faire ses affaires avant l’arrivée de la police…

Derrière la caméra de cette adaptation d’un roman young adult de Camille DeAngelis, Luca Guadagnino est passé maître pour décrire les tourments charnels de ses personnages, avec en point d’orgue le merveilleux Call Me By Your Name, déjà interprété par Timothée Chalamet. Car si Bones And All contient son lot de scènes gore, qui raviront les amateurs du genre, son originalité consiste à nous raconter, sous couvert d’épouvante, l’entrée de Maren dans l’âge adulte et sa découverte des autres, de leur corps et surtout du sien, en proie à des pulsions aussi dangereuses que symboliques.

Primé pour sa mise en scène à Venise

Après l’ouverture magistrale qu’on vient de décrire, Maren est abandonnée par son père (Andre Holland) qui l’a élevé seul, laissant derrière lui une cassette audio dans laquelle il fait le récit de son enfance "compliquée". Mais aussi le certificat de naissance qui lui permettra, peut-être, de retrouver la trace de sa mère. Sur sa route, la jeune femme va croiser deux hommes qui partagent son appétit interdit. L'inquiétant Sully (Mark Rylance), un vieux nomade qui renfile leurs semblables à des kilomètres à la ronde. Puis le séduisant Lee (Timothée Chalamet, donc), un rebelle à cheveux rouges, fan de hard rock et de jeans troués.

À la dernière Mostra de Venise, Luca Guadagnino a reçu le Lion d’argent du meilleur réalisateur. Une évidence tant chacun de ses partis pris esthétiques participe au charme vénéneux de ce récit d’apprentissage singulier. On pense à lumière chaude du chef opérateur Arseni Katchurian, au travail sonore vibrant de Trent Reznor et Atticus Ross de Nine Inch Nails et bien sûr au jeu des acteurs sur le fil du rasoir, c’est le cas de le dire. En vérité Bones And All donne au spectateur la sensation d’habiter dans un tableau de Hopper, gangrené par une violence sourde, qui semble devoir jaillir à tout moment.

Soyons clairs. Même si le film est interdit aux moins de 16 ans, le réalisme cru de certaines séquences risque de laisser une partie des spectateurs sur le bord du chemin. Peut-être même les empêchera-t-elle de prendre leur ticket malgré la présence du populaire Timothée Chalamet au générique. Pauvres petites âmes sensibles ! Elles passeront à côté de ce que le film exprime, d’abord et avant tout : la beauté triste d’une Amérique déclassée, peuplée d’individus en marge, dont Maren rêve de s’extraire pour mener une vie ordinaire malgré sa différence. Une expérience douloureuse qui sert, là aussi, de métaphore à la quête d’identité de la jeunesse actuelle, partout dans le monde. Sublime.

>> Bones And All de Luca Guadagnino. Avec Taylor Russell, Timothée Chalamet, Mark Rylance. 2h10. Interdit aux moins de 16 ans. En salles ce mercredi.


Jérôme VERMELIN

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